Des conditions du travail créatif
Episode 01.
Avez-vous déjà participé ou entendu parlé des « start-up week-end » où des étudiants et moins étudiants se retrouvent le temps d’un week-end pour créer un concept de produit ou service innovant ? Sans s’arrêter, ou presque, pendant 48h, les équipes se forment et créent ensemble des concepts qui se veulent nouveaux et adaptés à leur cible. A la fin du week-end, ils pitchent leur concept devant un panel de professionnels que les participants estiment et des prix sont décernés. Certains concepts et équipes perdurent au-delà ce week-end et donnent lieu à de véritables entreprises qui innove sur leur marché. A quoi est dû leur créativité ce week-end-là ? A la composition de l’équipe ? A l’envie de gagner ? A la pression du temps – « dans 48h, vous avez un concept viable » ? A la présence des mentors ? Au prix décernés ?
Durant plusieurs siècles, nous avons considéré que pour produire une œuvre créative, nous avions avant tout besoin de personnes créatives. Nous avons d’ailleurs évalué la créativité d’une organisation à travers le potentiel créatif de ses équipes (cf Torrance Test of Creative Thinking). Nous avons tenté dans les entreprises de motiver cette créativité en proposant des prix, des primes, des promotions. Nous avons tenté d’imposer des deadlines serrées, de mettre en compétition les équipes. Dans les années 70, une femme, Teresa Amabile, propose non pas de se concentrer sur le choix et le développement des individus dits créatifs mais de se concentrer sur l’environnement et les conditions de travail dans lesquels ces individus évoluent. Son approche et ses nouvelles méthodes auraient dû changer radicalement notre manière de voir la créativité et l’innovation et les moyens pour y parvenir. Pourtant, près de 40 ans plus tard, nous continuons à proposer dans un automatisme déconcertant des prix, des primes et des récompenses comme levier principal et continu de motivation, nous continuons à penser la stratégie d’innovation en y intégrant principalement des créatifs à toutes les étapes. Je vous propose ici le premier volet d’une mini-série sur les ingrédients et recettes qui permettent de créer les conditions du travail créatif.
Au-delà du potentiel créatif des individus, un environnement et des conditions de travail
Teresa Amabile est une universitaire américaine. Après un parcours de chimiste, elle se tourne vers la psychologie à Stanford dans les années 70. Elle étudie aujourd’hui comment la vie quotidienne dans les organisations peut influencer les individus et leur performance.
Pour Teresa Amabile, il faut regarder le résultat créatif lorsque l’on veut évaluer le potentiel créatif d’une organisation (et non pas les individus seuls) et de ce fait regarder le système mis en place pour y parvenir.
Prenons l’exemple d’une entreprise où un processus innovation a été mis en place. Le responsable innovation, que nous appellerons Paul, a mis en place un processus créatif en quatre étapes par lequel les équipes doivent passer. C’est un processus classique qui a fait ses preuves.
- La définition du problème
- Le rassemblement d’informations
- La génération d’idées
- L’évaluation (qui inclut la concrétisation et la mise en oeuvre ici)
Il rassemble une équipe autour d’une problématique que son manager a identifié. Il choisit des personnes qui ont de solides connaissances sur le sujet lié à la problématique et complète son équipe par quelques individus connus pour leurs compétences créatives. Pour être sûr que le résultat soit vraiment innovant, Paul compose 3 équipes qu’il met en compétition. L’équipe gagnante aura non seulement une prime mais sera également mis à l’honneur lors de la soirée de fin d’année de l’entreprise. En suivant les étapes et ce dispositif, il est certain que le problème sera résolu et la production créative. Pourtant, à la fin du processus, le problème est certes résolu mais les solutions trouvées sont fades et ne seront pas mises en œuvre.
Paul a mis tous les ingrédients pour une production créative dans un mixer et a appuyé sur le bouton. Cela fonctionne pour un faire un gâteau au yaourt – bon mais pas très subtil – mais pas pour réaliser un cheesecake baklava (vous trouverez la recette dans la bibliographie).
Pour comprendre, Teresa Amabile a identifié trois ingrédients qui permettent à chacune des étapes du processus de Paul de se dérouler de manière efficace. Paul avait considéré en partie ces trois ingrédients mais n’a pas considéré leur impact sur le processus, quand les mettre et de quelle manière.
A. Les connaissances et compétences vis-à-vis du domaine
Il est assez intuitif qu’une personne ayant de grandes connaissances sur un domaine sera plus à même de trouver les bonnes informations sur un sujet le concernant et pourra plus facilement comprendre des liens et interactions entre certaines informations.
B. Les connaissances et compétences créatives
C’est ce qui va permettre de faire émerger une idée vraiment créative (originale et adaptée) et non une idée simplement différente ou juste adaptée. Il y a trois domaines de connaissances et compétences qui sont importants ici :
o Le style cognitif qui intègre la capacité à changer de perspectives, la compréhension de la complexité, la capacité à considérer des options aussi longtemps que possible, la capacité à suspendre le jugement, à sortir des routines, à considérer l’originalité.
o La connaissance des heuristiques ; pour trouver des solutions originales et adaptés, le chemin à parcourir n’est pas linéaire. Il doit être ponctué d’alternatives, de chemins inexplorés. Cette capacité s’entraîne forte heureusement (un prochain article sur le sujet est en cours de préparation) et fait appel notamment à nos capacités d’associations et de combinaisons.
o Le style de travail : être capable de se concentrer sur une longue période, la persévérance devant l’adversité, être capable de mettre de côté des stratégies non productives et des problèmes sur lesquels vous n’avancez pas, avoir la volonté de travailler dur et consacrer beaucoup d’efforts.
Paul a-t-il choisi des personnes pour leur réputation créative ou pour des compétences précises décrites ci-dessus ? L’entreprise de Paul propose-t-elle d’entraîner ces capacités ? Les met-elle en valeur à tous les échelons de l’entreprise ?
C. La motivation à la tâche
La motivation à la tâche s’entend comme la posture que l’on a vis-à-vis de cette tâche et comme les raisons qui nous poussent à réaliser cette tâche. Elle se réfère aux forces internes qui sous-tendent la direction, l’intensité et la persévérance du chemin que nous empruntons pour réaliser cette tâche.
Paul a en effet considéré qu’il fallait les motiver en leur offrant prime et reconnaissance. Seulement, ce type de motivation a un effet inverse sur leur productivité comme nous le verrons plus loin. Le fait que la problématique soit posé par son manager peut avoir un impact sur la motivation de Paul et des équipes. Sans dire que la problématique doit toujours être posé par les équipes elle-même (principe de réalité), ce point doit être considéré par Paul comme un potentiel frein à la créativité espérée.
Ces 3 composantes, les compétences et connaissances du domaine, créatives et la motivation à la tâche, sont des ingrédients non seulement indispensables mais aussi toujours présents. La question est de savoir si Paul les maîtrise ou s’il subi leurs influences sur sa recette. Pour créer un dispositif créatif pertinent, Paul doit donc les considérer et maîtriser de quelle manière ils les utilisent. Cependant, ces ingrédients n’ont pas la même importance ni le même impact en fonction d’où nous en sommes dans le processus créatif. Il ne faut pas tout mettre dans le mixer au début de manière indifférente.
La motivation à la tâche par exemple joue un rôle primordial dans la phase de problématisation (étape 1) et de génération d’idées (étape 3). Dans l’étape 4 – l’étape de construction, itération, évaluation, mise en œuvre – la motivation joue aussi un rôle important mais en soutien de la capacité et connaissance sur le domaine (que nous appelons dans le schéma « expertise »). Comme nous le verrons dans l’épisode suivant, il y a différents types de motivations qu’il ne faut pas doser de la même manière et qu’il ne faut pas ajouter à n’importe quel moment. Ce choix et dosage dépend du moment dans le processus et des autres ingrédients avec lesquels ils peuvent interagir.
Dans les prochains épisodes de cette mini-série, nous apprendrons comment fonctionne la motivation, quelles sont ses composantes et comment l’utiliser dans le processus de Paul et également au-delà dans l’entreprise.
Vos histoires, témoignages, et idées toujours sont les bienvenues. Vous pouvez laisser un commentaire ci-dessous ou envoyer un mail à jeanne.bernard[at]katsi.fr.
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A très bientôt !
Jeanne Bernard, facilitatrice, coach et fondatrice de Katsi
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Références bibliographiques
Handbook of Research on Creativity and Leadership, Chapter: 6. Intrinsic motivation and creativity: Opening up a black box – Logan M. Steele, Tristan McIntosh, and Cory Higgs: , Editors: Michael D. Mumford, Sven Hemlin, pp.100-130 (2017)
The motivation for creativity in organizations, T.M. Amabile, Harvard Business School. – January 23, 1996 – 9-396-240
L’influence de l’environnement social sur la créativité. Les grands auteurs en management de l’innovation et de la créativité, Fanny Simon. Teresa Amabile, EMS. , 2016. hal-01597607
The Progress Principle: Using Small Wins to Ignite Joy, Engagement, and Creativity at Work – 19 juillet 2011, de Teresa M. Amabile, Steven Kramer
Cheesecake baklava : https://www.lesjoyauxdesherazade.com/cheesecake-facon-baklawa/
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